Deux ex-cadres de l’UNSA sont candidats du RN aux élections départementales et régionales. Vous avez donc touché du doigt très concrètement l’ampleur du défi que vous évoquez…

Nous les avons d’ailleurs exclus, car notre charte des valeurs est totalement incompatible avec le choix qu’ils ont fait. Nous ne sommes pas les seuls concernés, loin de là. Le syndicalisme, représentant des travailleurs, ne peut pas se croire épargné quand tous les sondages du second tour de la présidentielle, quelle que soit la configuration, donnent le RN à plus de 50% chez les ouvriers et les employés. Une prise de conscience générale s’impose. Faut-il y voir une forme d’échec ? Cela révèle d’abord l’échec de la démocratie et de la République à tenir leur promesse de justice et d’égalité, dans un monde en pleine interrogation. Depuis 30 ans, on observe une forme d’impuissance à juguler, réguler le capitalisme financier transnational. Cela crée des fractures. Les gens se disent : puisque les pouvoirs publics n’y peuvent rien, il faut aller vers une forme de simplisme, vers des solutions plus radicales, alors que cette voie sera de toute façon contre-productive. Il y a donc urgence à trouver des capacités d’agir. Même ceux qui tiennent et alimentent ce système, que ce soit à Davos, à l’OMC ou au FMI, partagent ce diagnostic. Ils se rendent bien compte que ça ne peut plus durer.

Quel rôle les syndicats, aujourd’hui marginalisés et affaiblis, peuvent jouer dans ce «sursaut» ?

À l’UNSA, nous ne restons pas les bras croisés. Face à la menace des extrêmes, nous faisons la différence entre ceux qui ont un projet conscient, une adhésion profonde à certaines idées, et tous ceux qui peuvent se faire berner. Il ne faudrait pas reproduire l’erreur d’Hillary Clinton, en 2016, qui avait traité tous les électeurs de Trump de «déplorables». On ne peut pas avoir autant de travailleurs qui basculent dans l’abandon démocratique, qui cèdent aux sirènes populistes, et ne pas aller leur parler. C’est à nous de leur montrer que le syndicalisme peut être efficace et utile. En faisant le choix de l’humain et de la proximité, nous avons d’ailleurs obtenu de très bons résultats, lors des dernières professionnelles, auprès des salariés de TPE et des non cadres. C’est la preuve qu’il n’y a pas de fatalité.

Les syndicats, dites-vous aussi, doivent impérativement se «réinventer». Comment ?

Globalement, toutes les organisations font à bien leur job. Sauf que nous protégeons des salariés qui ont déjà des protections, parce qu’ils sont dans une grande entreprise, qu’ils ont un CDI ou qu’ils travaillent dans la fonction publique. Que fait-on en revanche pour tous les autres, c’est-à-dire les 4,5 millions salariés de TPE, souvent isolés, les 600.000 intérimaires, les 2 ou 2,5 millions de Français qui alternent chômage et contrats courts, sans oublier tous ceux qui sont au chômage durablement ? Aujourd’hui, nous ne leur apportons pas de réponses. Il faut donc prouver à ces gens-là que l’on peut les ramener dans le champ de la démocratie sociale et de la République. Au-delà des syndicats, je crois que le sursaut s’impose à tous les acteurs qui s’expriment publiquement d’une façon ou d’une autre – politiques, intellectuels, journalistes, etc. Interrogeons-nous, chacun à notre place : quel spectacle donnons-nous à voir à celles et ceux qui sont aujourd’hui du mauvais côté de la fracture ?

À paraître ce jeudi. «Cultivons le Je démocratique», de Laurent Escure, avec Madani Cheurfa, éd. de l’Aube, 17 €.